Siri Hustvedt – Un monde flamboyant

Cinq raisons de dévorer Un monde flamboyant
1. S’enticher d’une personnalité aussi dense que fantaisiste
Harriet Burden, protagoniste haute en couleurs se faisant appeler Harry, « faisait peur. Elle savait trop de choses, elle avait lu trop de bouquins, elle était trop grande, elle détestait à peu près tout ce qu’on écrivait sur l’art, et elle corrigeait les erreurs de gens ». En dépit de ces traits de caractère irritants qui provoqueraient sans doute des poussées d’acné s’ils s’appliquaient à toute personne réelle, Harry intrigue autant qu’elle attendrit. Avec ses grands chapeaux colorés et sa longue nuque qui lui donne les airs d’un Modigliani, elle a conservé un on-ne-sait quoi de l’enfance : ses « vœux les plus chers », « respirer du feu », continuent de la hanter, et on la surprend souvent « silencieuse […], perdu[e] dans sa narration intérieure ». Les prémices de l’ouvrage apprennent très vite au lecteur qu’Harry a trépassé, mais le système narratif parvient à la faire revivre si bien que les derniers chapitres, décrivant ses ultimes instants de vie, sont une véritable souffrance.
2. « Peler l’oignon des personnalités l’une après l’autre, en pénétrant de plus en plus loin dans le livre ».
La narration a en effet cela d’original qu’elle suit un schéma choral. Chaque narrateur, impliqué de près ou de loin dans la vie d’Harry, prend la parole avec son propre style, sa propre patte. Des récits que le narrateur principal, un universitaire cherchant à explorer le travail d’Harry, à retracer son histoire et ses personnalités, met en parallèle dans le présent ouvrage. Il est ainsi donné au lecteur d’aimer la femme artiste à travers le regard de Bruno, son compagnon – la description de leur rencontre, pour le moins électrique, vaut à elle seule la peine de lire les quelques 350 autres pages -, de la chérir par le biais de ses deux enfants, de l’adorer sous le prisme de son amie de toujours, de l’admirer sous la plume de ses protégés aux surnoms et aux personnalités excentriques (le Baromètre ou encore Sweet Automn), et de la connaître intimement en suivant le fil de ses propres carnets. Effet collatéral de ce même mode de narration : l’attachement ne concerne pas uniquement la protagoniste mais également son entourage, notamment sa fille Maisie, réalisatrice d’un film sur Harry, et son fils Ethan, auteur d’une nouvelle contant « l’attachement érotique » d’un homme pour son parapluie. « Peler l’oignon des personnalités » d’Harry donc, en tant que femme complexe, artiste torturée, mais aussi en tant qu’auteur aux multiples identités – trois en plus de la sienne –, aux « masques » masculins dont elle use pour signer ses œuvres.
3. Pénétrer dans le sacro-saint monde de l’art new-yorkais comme dans des « chambres de suffocation »
Comme dans Tout ce que j’aimais, l’univers d’Un monde flamboyant se déploie dans l’espace entre les galeries et les ateliers new-yorkais ; dans le temps entre les vernissages mondains et les moments de création intense. Critiques redoutés, galeristes admirés, artistes-stars adulés… Tout y est pour permettre une pleine immersion dans ce microcosme aussi fascinant que vain. La projection ne s’arrête pas là, car derrière les paillettes et les faux-semblants, le monde intime des artistes est à portée de main, et la question de ce que révèlent leurs productions d’eux-mêmes ouvertement posée. Les poupées grandeur nature d’Harry, fantômes du passé, ainsi que ses « chambres de suffocation » provoquant un malaise certain ; l’unique poème que Bruno réécrit éternellement ; la pièce de théâtre de Phinéas, autre petit protégé, qui met en scène sa double duplicité (noir/blanc, homme/femme) ; et toute la mégalomanie de Rune, troisième et dernier masque d’Harry dont l’apogée artistique consiste en son suicide filmé.
4. Savourer la plume de Siri Hutsvedt et la traduction de Christine Leboeuf
Siri Hustvedt est une auteure que l’on suit avidement. La perspective d’une prochaine publication réjouit d’avance, comme lorsque l’on guettait la sortie de la nouvelle saison d’une série additive, au temps où internet ne nous privait pas encore du plaisir de l’attente. Dans Un monde flamboyant, tous les ingrédients de son style irrésistible sont au rendez-vous, parmi lesquels la science comme procédé applicable à tous les domaines (le roman lui-même prend la forme d’une thèse universitaire fictive). Toute la grâce de sa plume est très habillement retranscrite en français par Christine Leboeuf, fidèle traductrice du couple Hustvedt-Auster. On regrettera peut-être l’accumulation de références universitaires, philosophiques, médicales et psychiatriques, destinées à une minorité intellectuelle mais qui, chez Siri Hustvedt, peuvent revêtir le charme de la culture jusqu’alors ignorée.
5. Interroger – au-delà de la place de la femme dans la société, thématique quelque peu éculée – la notion d’identité, dont l’exploration reste illimitée…
Autre ingrédient de l’œuvre de Siri Hustvedt, la thématique de la femme, de sa place dans la société et de la remise en question de son impuissance à changer la donne. Ainsi, Harry « s’était imaginée, pour sa revanche [revanche d’une épouse tapie dans l’ombre de son mari], emprunter la peau d’un homme », de trois hommes. « Mais les humains ne sont pas des déguisements », ce qui pose ensuite la question de l’identité individuelle et génère parfois « l’impression de se perdre et de voir le monde comme s’il venait d’être créé, à l’instant même, dans toute son étrangeté ». A travers la dense personnalité d’Harry, de ses trois « masques » et de Richard Brickman, sorte de quatrième avatar masculin qu’elle endosse avec une suspecte et pourtant appréhendable excitation, Harry plonge le lecteur dans toute l’ambigüité de l’éternelle question : « Qui suis-je ? »
Merci pour votre blogue. Je n’ai pas encore lu ce roman, mais je suis heureuse de constater que je ne suis pas la seule qui prend encore le temps de lire. Bien entendu, les gouts sont personnels. Un ami m’a fait remarquer qu’une nouvelle écrivaine québécoise venait de publier un roman. Nauranéüs, le messager des Ancêtres. J’ai envie de classer cette histoire entre le roman d’aventures et le fantastique. Je me suis laissé tenter et j’ai acheté la version numérique. En deux mots : captivant et énigmatique. Pour un premier roman, l’histoire est très intéressante et le texte bien conçut. Je voulais toujours savoir ce qui allait arriver au tournant du prochain chapitre. Il n’y a pas de violence explicite, ce qui représente pour moi un atout majeur. Pour un prix abordable, j’ai passé un excellent moment en compagnie de Jennifer Saint-Cleerc et de ses aventures. Un bon roman à lire cet été. Encore une fois, merci de prendre de votre temps pour mettre votre blogue à jour.